
"Je n'ai jamais écrit que des poèmes en arabe, est-ce que ça compte ?"
Voilà ce que l'on m'a demandé le mois dernier alors que j'animais plusieurs ateliers d'écriture à l'occasion du printemps des Poètes, pour la médiathèque des Mureaux.
Cette question m'a foudroyée. Je me suis demandée à quel moment s'était gravé dans nos cerveaux que la poésie était intouchable ? Et pourquoi ?
J'ai observé au cours de ces ateliers quantité de boucliers et de sabotages se lever.
La poésie, pas pour moi !
Au début de l'atelier les enfants passaient la tête par la porte et me disaient non, non c'est bon, quand je leur proposais de venir jouer avec les mots. C'était trop impressionnant, trop propre, trop lisse.
Pour les adultes, pas mieux. Polis, ils se sont installés à table mais le trac était palpable. Alors aux uns comme aux autres j'ai proposé d'aller s'aventurer en forêt !
Journaux, papiers froissés, magazines étaient étalés, presque jetés au sol. Mettre le bazar, destructurer l'espace, dédramatiser le geste.
Ils se sont levés, ont tourné. Et doucement, pas à pas, ils ont cueillis leurs mots.
La suite, vous la devinez. Des poèmes et de la beauté à foison.
C'est quoi faire de la poésie ?
Impossible de leur en vouloir de s'auto-saboter dans un premier temps. Il y a quelques années j'aurais d'ailleurs décliné cette proposition d'animer un atelier d'écriture poétique. Pourquoi moi ? Je n'en écris pas de la poésie.
Sous le même prétexte d'imposture j'aurais validé que l'écriture n'appartient qu'à quelques uns. Or je crois profondément qu'elle appartient à tous.
Mais au juste, c'est quoi faire de la poésie ? Peut-être qu'il est question de faire sa part. Une entrée simple en écriture. "Dévisager un mot tout seul, c'st envisager autrement la langue. Prosaïque et poétique se jouxtent" explique Jeanne Benameur dans Vers l'écriture.
Tracer sa voix
C'est peut-être regarder ce mot si longtemps que l'on s'en sent décentré. Face à ces mots, certains ont été destabilisés, d'autres encore se sont laissés aller à quelque chose du dedans. En entrant dans la densité de la langue, il me semble qu'on entre dans sa force et qu'on s'y autorise.
À tel point, qu'en fin de semaine, les publics de la médiathèque ont déambulé pour dire et déclamer des poèmes, les leurs, ceux des autres.
Peut-être, sûrement qu'écrire de la poésie - écrire tout court d'ailleurs - est avant tout une autorisation que l'on ne donne pas à toutes et tous. Sa propre autorisation à imprimer sa trace, sur la feuille.
Tracez donc ! Votre mot, votre trace pour trouver une place, votre endroit d'écriture.




